(isaiah) je me fous du regard des autres, tant que j'existe dans le tien.

A bout de nerfs, Roxane lança son stylo à travers son bureau, touchant au passage la lampe posée sur celui-ci dans un éclat de bruit qui lui brisa les tympans. Soupir nerveux, mains passées sur son visage si doux, si tendu, si tiré. Le contact du métal froid de sa bague de fiançailles sur sa peau tout aussi glacée l'électrisa, et elle ne put s'empêcher de couper court à ce contact, comme si la morsure glacée l'avait brûlée. Elle admira l'anneau trônant à sa main gauche. Elle ne s'était jamais résignée à l'enlever jusqu'à présent. Mais désormais, rien que sa vue lui soulevait le cœur. Elle ne la supportait plus, ne pouvait plus la voir, ne pouvait plus réaliser ce qu'elle avait perdu à chaque fois qu'elle baissait les yeux. Elle ne supportait plus de la voir, mais l'idée de la quitter lui était tout autant insupportable. Si Isaiah l'avait oubliée, elle, ne serait jamais capable d'oublier quoi que ce soit à son sujet. Isaiah... Rien que ce nom la chamboulait, affolait son cœur, retournait son âme. Un ouragan qui la dévastait un peu plus chaque seconde. Leur appartement n'était que souvenirs, et leurs souvenirs désormais poussière. Il ne restait rien d'eux. Rien d'autre qu'un espoir qui semblait si loin, si inaccessible. Hors de portée. Roxane se rattachait à une vie passée qu'elle était seule à connaitre, à des projets qui n'étaient plus. Et ça la consumait de l'intérieur, flammes aussi ardentes que vicieuses. Elle ne savait plus si ça valait le coup de se battre. Elle était fatiguée de se battre contre des moulins à vent qui brassaient le néant. Elle avait envie d'abandonner parfois. Mais roxane, c'est une fille de promesse. elle n'a qu'une parole comme on dit. Et elle avait promis à Isaiah de l'aider. Elle s'était promise à elle-même qu'elle ne lâcherait pas l'affaire tant qu'il n'aurait pas réussi à se remémorer sa vie perdue, ou, dans le pire des cas, à s'en construire une nouvelle. peu importe si leur relation devait y passer. elle voulait l'aider, comme il avait pu l'aider de bien des façons par le passé.
La sonnerie stridente de son téléphone la sortit de ses pensées. Elle l'éteignit d'un geste agacé. Elle n'avait pas besoin de regarder son écran pour savoir ce que la machine cherchait à lui rappeler. Elle savait très bien à quoi elle passerait son vendredi après-midi, comme tous les vendredis après-midi depuis quelques semaines. Et pourtant, chaque vendredi, c'était la même rengaine. Elle pestait contre son téléphone, avant de rester quelques minutes qui lui paraissaient une éternité assise sur sa chaise, engoncée dans son pyjama, les jambes repliées contre sa poitrine, à s'arracher les lèvres, les yeux dans le vague et le vague à l'âme. Puis elle errait vers la salle de bain, l'eau de la douche achevant de noyer ses espoirs comme elle aimerait noyer son chagrin. Et elle se préparait comme on se prépare pour un premier rendez-vous, espérant que le maquillage la fasse paraitre vivante, qu'il donnerait l'impression que l'étincelle dans son regard avait envie de nourrir un feu de joie. Et elle veillait à choisir des vêtements qui lui ressemblaient, dans la simplicité qui l'avait fait chavirer, lui. Elle ne s'en rendait pas compte, persuadée de s'être détachée de tous ces petits riens. Mais la vérité, c'est que son cœur réclamait Isaiah, que son âme avait besoin de lui pour ne pas risquer de s'éteindre comme une fée. Et sur la route, son ventre se tordait. Le nœud se créait. L'angoisse. L'angoisse qu'il l'ait à nouveau oubliée. L'angoisse de ne jamais le retrouver. Elle en mourrait. Elle pensait être douée pour le cacher, pour cacher ses peurs. Mais la vérité, c'est que n'importe qui aurait pu le deviner. Et elle trépignait sur le pas de la porte, attendant de voir cette dernière s'ouvrir. Elle ne savait pas où se mettre. Elle était comme un enfant apeuré, Roxane, loin de ses repères et de ses ancrages.

Après leur accident, duquel Roxane était sortie avec très peu de blessures, elle avait passé jours et nuits au chevet de son fiancé. Il avait été hors de question pour elle de rater le moment où il ouvrirait enfin les yeux. La soeur d'Isaiah avait cherché au début à la convaincre de sortir de temps en temps, juste le temps de prendre l'air ou de rentrer prendre une douche, mais roxane avait toujours refusé, et sa belle-soeur avait fini par comprendre qu'elle avait tout simplement peur. Une peur atroce qui lui tiraillait les entrailles, la peur que le jeune homme ne cesse de respirer au moment où elle serait absente, peur qu'elle ne puisse pas lui dire au revoir. Aussi, quand pour la première fois depuis des semaines elle avait pu s'abîmer dans ses yeux océans, elle s'était mise à respirer de nouveau. Entendre sa voix l'avait emplie de joie, avant de lui déchirer le coeur. Qui êtes-vous ? Son monde s'était écroulé, et aujourd'hui encore, alors qu'il venait lui ouvrir la porte, elle savait qu'il n'avait pas de réponse réelle à cette interrogation. Et à vrai dire, elle n'était pas sûre elle-même de ce qu'elle pouvait encore être pour lui. Elle l'aimait encore, il était impossible d'en douter. C'était une évidence pour elle, comme pour lui quand il la connaissait encore, c'était lui, ça serait toujours lui, elle le savait, son corps, son coeur, son âme le lui disait. Mais elle ne savait pas si elle aurait encore longtemps la force de se battre, d'autant qu'elle ne voyait aucun résultat, aucune différence. Bien au contraire, elle avait l'impression qu'à chaque jour passé elle le perdait un peu plus. Et ça la tuait, lentement, doucement, sans qu'elle ne s'en rende compte.  
« bonjour ... » Un nouveau poignard dans le coeur, remuant dans une plaie toujours ouverte, à vif. Elle avait envie de se jeter dans ses bras, d'enfouir son visage dans son cou, de se rattacher à lui comme si sa vie en dépendait. Mais tout cela était impossible. Elle se résigna à lui offrir un sourire sans vie, pour donner le change. « bonjour isaiah. » Sa voix douce la surprit. Il y avait cette chaleur dans sa voix qui contrastait complétement avec son attitude gauche, son sourire gêné. Roxane entra machinalement dans l'appartement, s'asseyant dans ce canapé qu'elle connaissait si bien, qu'elle appréciait tant dans une autre vie. Et elle voyait cette distance qui les séparait, comme si un mur de glace avait été bâti entre eux, et qu'ils étaient incapables de briser. Elle ne savait même pas si son fiancé appréciait ces visites. Elle n'avait jamais osé poser la question, de peur d'entendre la réponse. Peut-être qu'il s'agissait pour lui d'une corvée, mais qu'il n'osait pas le lui dire, de peur de la décevoir un peu plus. Elle n'était pas déçue de lui, elle ne lui en voulait pas. Le pauvre n'y était pour rien. C'était de la vie qu'elle était déçue, à son ange gardien qu'elle en voulait. Roxane croyait en bien des choses, mais plus à une entité censée les protéger. «  j'ai regardé les albums photos que tu m'as laissé la dernière fois... Je me disais qu'on pourrait retourner aux endroits qui ont été le plus significatifs pour nous.... Je ne sais pas... » Après son réveil, la petite brune avait eu l'occasion de parler avec les médecins de son fiancé. Ils lui avaient clairement dit que rebrasser les souvenirs du jeune homme était la meilleure façon des les faire remonter à la surface. Roxane adorait se remémorer ce genre de bons moments en temps normal, mais elle n'était pas sûre de le supporter, pas dans ces conditions. Cependant, sa priorité était Isaiah et son bien-être. Elle aurait bien le temps de penser à elle après. «  oui, si tu veux. » Sa voix était tout sauf enthousiaste, elle le savait, avait pu le percevoir bien trop clairement. Pourtant, elle sentait que ça pourrait leur faire du bien, de se voir en dehors de ces quatre murs qui commençaient à la rendre folle. «  je ... excuse moi. je crois que c'est une bonne idée. ça ne pourra pas nous faire de mal. » Sa voix se brise au milieu de sa phrase. Elle avait besoin de revivre ces moments, mais en même temps, faire remonter à la surface tous ces souvenirs la tétanisait. Des souvenirs qu'elle côtoyait tous les jours, qui envahissaient chaque centimètres carrés de l'appartement qu'ils partageaient avant tout ça. « je t'ai ramené ça. il trainait sur la table de chevet depuis trop longtemps. je me suis dit que ça te ferait plaisir, et puis, ça me fait faire des cauchemars ce truc. » Chaque semaine, Roxane lui ramenait un petit bout de sa vie, de leur vie. Aujourd'hui, elle avait dans son sac une édition originale de It, son livre favori, qu'elle lui avait dédicacé. Elle avait une peur bleue des clowns, il le savait, et avait autrefois tendance à s'en amuser. Elle farfouilla dans son sac à la recherche du bouquin maudit, et le tendit au jeune homme, assis à ses côtés.