Tu brilleras par ta force physique, ton allure dominante, ta posture de caïd et ton sexe triomphant pour mépriser les faibles.

(1)
Sa mère, libanaise de naissance, avait immigré avec sa famille aux Emirats arabes unis, lorsque la petite entreprise de son père avait eu le projet de transférer son siège social à Dubaï. Le pays étant la nouvelle grande puissance mondiale, il avait émis l'idée de s'établir là-bas pour mieux percer. Ils étaient restés plusieurs mois, le temps de s'agencer, de programmer des rendez-vous avec les hommes influents. Cette ville réveillait d'ailleurs les espoirs de la demoiselle, quand elle se promenait dans les galeries artistiques avec son père. Ce n'était pas pour les femmes comme elle, mais elle avait envie d'en ouvrir, un jour. Elle s'était arrêtée de rêver un court instant, avec ce milliardaire émirien, avant de songer à plus grand encore au moment où elle a réalisé qu'elle n'était pas l'unique prétendante. Il était marié, avait déjà promis fidélité à une belle femme respectable. Bêtement, naïvement peut-être - ce que s'affirment ses parents, elle s'était laissée emporter par un soupçon d'amour et s'était donnée à lui plusieurs fois. Elle s'en est pourtant vite détournée, grâce à ce ventre tout rond qu'elle avait récolté et qu'elle désirait protéger d'un univers trop complexe. Elle voulait surtout le garder, elle qui avait la fibre maternelle, et se fichait bien de connaître l'avis de ses proches quant à cette relation interdite qui ne se basait pas sur un mariage. L'idée de profiter d'un homme une dernière fois pour acquérir une certaine indépendance, même dans son rôle de parent, lui apportait beaucoup de satisfaction. Alors suite à cette courte aventure, elle a plaqué son nouveau pays, sa famille, en se délivrant de ses chaînes pour obtenir la liberté qu'elle espérait à Paris.

Quand Fahd est né, elle l'a d'abord aimé sans restriction ou réserve, pour le noyer de cette affection dont elle débordait depuis qu'elle le portait. Elle l'a ensuite baigné dans une éducation culturelle et créative, composée de musique française classique et d'activités artistiques. Elles éveillaient son esprit pour qu'il innove et crée de ses mains. Elle a pourtant vite saisi que ce n'était certainement pas la démarche à suivre s'il voulait se faire une place dans le monde, alors elle a fini par l'endurcir pour renforcer sa carapace. Il avait été trop le centre de moqueries et d'interpellations par ses camarades à l'école, pour continuer de lui enseigner l'art et tous ses dérivés. Elle s'armait de la dureté et de l'autorité pour le rendre alors insensible aux injures et jugements. Elle l'avait même inscrit à différents sports de combat pour qu'il apprenne à se défendre quand elle ne serait pas là.

- Il faut que tu te saches te battre. Sinon tu ne vas pas aller loin dans la vie.
- Je préfère faire de la poterie avec toi.
- Mets ces gants, dépêche-toi.

Son comportement glacial n'était pas intervenu naturellement, elle avait dû l'appréhender, l'apprendre, pour agir fermement et efficacement avec son gamin. Il vivait dans une famille monoparentale, sans frère ni sœur, il fallait donc qu'elle incarne tous les rôles qui auraient pu avoir un impact négatif ou positif sur son existence. Elle était la violence des mots, des gifles ; la torture de l'esprit que représentait le père. Elle devait le secouer, lui balancer des remarques acerbes qu'elle regrettait bien souvent. Elle devait le pousser à prendre son indépendance financière, à donner des coups de main à la maison. C'est d'ailleurs pourquoi elle n'a pas hésité à le contraindre aux entretiens d'embauche, pour qu'il devienne serveur, caissier, groom, employé à la mairie ou animateur dans les centres aérés. Il s'assurait de gagner des revenus pour se payer ses études, même si elle aurait voulu lui offrir avec l'argent qu'elle gagnait désormais grâce à sa galerie d'art. Elle l'a souhaité mais devait le laisser acquérir de l'autonomie, se débrouiller, sans l'étouffer d'une surprotection. Elle était aussi le frère et la sœur, en incitant cet esprit de compétition. Elle le comparait aux camarades, le poussait à bout en lui demandant toujours des efforts supplémentaires. Elle voulait qu'il donne le meilleur de lui-même pour pouvoir intégrer les écoles prestigieuses et viser le métier qu'il voulait. Elle avait fait de lui un homme, un viril, un qui se bat, elle l'avait façonné pour qu'il n'ait plus aucune raison d'échouer ou d'être piétiné.
Mais elle était avant tout la mère, cette douceur réconfortante qui parsème le front de quelques baisers ou l'âme d'un amour indéfectible.

- Je t'aime mon chéri. Je serai toujours là pour toi.

Et c'était profond, sincère, vrai. Il a fini par s'en convaincre et se décharger des frustrations qu'il ressentait à l'idée de n'être qu'un rejeton. Il avait été trop souvent confronté aux conversations qu'elle entretenait avec sa propre famille, pour ne pas sentir le malaise s'imprégner de lui. Son "grand-père" ordonnait à sa fille de revenir, en déployant toute sa capacité de jugement pour critiquer ses choix et les erreurs commises.

- Je ne reviendrai pas. Je vis mon rêve d'artiste ici.
- Et l'autre, tu en fais quoi ? Tu n'aurais jamais dû le garder, c'est une honte.

Quant à son géniteur, celui qui lui avait permis de devenir une mère, il lui envoyait plusieurs billets par mois en guise d'acte de présence. Il ne voulait pas le connaître, il tenait surtout à taire ce secret. Fahd était l'enfant qu'on payait pour préserver le mystère, pour se donner bonne conscience et nettoyer les péchés d'un homme infidèle. Il était le bâtard dont on a honte et qu'on préfère ne pas fréquenter. Il n'a jamais cherché à le contacter, à bousiller sa petite vie de famille bourgeoise et tranquille. Toutefois les souvenirs douloureux d'une mère seule qui lutte sans relâche, lui reviennent souvent en mémoire. C'est aussi pour survivre et réaliser l'ambition qu'elle s'était fixée, qu'elle a emprunté dans le capital financier de Fahd. Il lui en a voulu, au début, et puis il a évolué, compris, accepté. Elle a assez fait pour que la rancune se décroche naturellement de sa poitrine. Elle l'a finalement remboursé à la fin de ses études, lorsqu'il était enfin considéré comme un citoyen, un homme, et qu'il n'avait plus rien d'autre à apprendre que de vivre.

(2)
Malgré l'entêtement de sa mère à couper le cordon entre elle et son fils, Fahd s'est toujours accroché à elle. Il se surpassait pour elle, suivait toutes les recommandations et exigences qu'elle formulait ouvertement ou silencieusement. Il en a beaucoup souffert, a cru parfois qu'elle lui en voulait ou ne l'aimait pas assez. Mais il suffisait d'une étreinte ou d'une caresse affectueuse le soir avant de dormir, pour qu'elle élimine tous ses doutes. Elle devait sûrement le sentir quand il frôlait l'instabilité, l'explosion, et elle tentait de ne pas trop l'affaiblir. Leur lien restait fusionnel, surtout lorsqu'il s'était forgé son petit caractère et qu'elle s'était assurée qu'il ne vacille pas dans la sensibilité fragilisante. C'était à son tour de vouloir la protéger lorsqu'il était jeune adulte, de contrôler ses fréquentations et la présence d'hommes autour d'elle. Il ne voulait pas être remplacé par qui que ce soit, refusait toute autorité masculine et encore plus qu'on l'écorche ou la blesse. Alors il lui en a lancé des commentaires, des accusations à tort et à travers :

- Putain mais t'vois pas que c'est un profiteur !
- C'est qui ce connard dans le salon ?!
- Tu peux pas regarder ailleurs sale abruti ?
- Tu t'es fait un compte facebook ? Pourquoi tu m'l'as pas dit ? C'est qui "Jean-Pierre" ? Il te souhaite bonne nuit ce con !

Alors elle ne s'est jamais remise avec quelqu'un. Ils n'ont qu'eux. Et maintenant c'est explosif et destructeur parfois, mais surtout puissant et incassable.
Il a dû toutefois la quitter puisque la suite de ses études devait se dérouler à Bordeaux. Il y est depuis 5 ans, a préféré rester plutôt que de vivre dans la capitale. Sa mère, quant à elle, l'a rejoint au bout d'un an, en ouvrant une seconde galerie dans cette ville.

(3)
Il avait des yeux bleu clair comme il en avait rarement aperçu. C'était un regard hypnotisant, transperçant, auquel il osait parfois se confronter dans ce parc vide. Il semblait presque intimidé, comme si personne ne l'avait encore jamais scruté avec autant d'intensité. Alors le garçon de 19 ans avait souri pour le troubler davantage, dans une volonté obsessionnelle d'enflammer, d'agiter, ce corps qui le faisait saliver. C'était Fahd qui s'était d'ailleurs approché du jeune alarmé, nerveux, qui aurait sûrement préféré fuir sans tarder, si le Français ne s'y était pas opposé par une main ferme contre la sienne, plus tremblante.

- Fahd.
- Salim. Tu viens d'où ?
- Pourquoi, tu es raciste ?

On lui avait trop demandé de quel pays il provenait, comme si sa gueule était trop différente et que son prénom arabe lui interdisait une place en France. Comprenant le sens de sa boutade tous les deux, ils ont simplement ri dans un élan soudain de complicité, puis se sont aimés fougueusement le temps d'un été.

- Fahd, ton Salim, ce n'est pas juste un copain mh ?
- Non.

Sa mère avait compris, grâce à leurs regards langoureux, leurs chuchotements autour de la table et les gémissements qu'elle entendait la nuit. Elle ne l'a jamais réprimandé, jugé, s'est efforcé de tolérer, de le délivrer d'un poids, avant de ne plus jamais aborder le sujet. Elle aurait pu, peut-être, si Salim n'était pas retourné au Maroc, sa terre natale, à la fin de son séjour. Elle a cru qu'il n'était qu'une expérience, une passion éphémère dans la vie de Fahd ou a préféré le croire. Elle était un brin soulagée qu'il ne l'ait pas retenu, qu'il garde son amour coincé dans le cœur. Elle avait pu rencontrer les parents de Salim, son père surtout, et elle avait compris que cette histoire n'aurait jamais pris la forme que son fils s'était imaginé. Fahd n'était de toute façon pas prêt à céder totalement à ce qui aurait pu n'être qu'une amourette, malgré tout le manque qu'il éprouvait à l'image de ses lèvres, de son sexe, son corps tout entier, qui restaient, là dans son crâne, sans cesse. Ils n'auraient jamais pu s'aimer comme les autres le font, même avec toute la passion qu'ils auraient employée, car les conventions auraient fini par tout exploser. Alors il l'a laissé repartir, d'un regard évitant et dans un silence oppressant. Ils ne se sont jamais revus depuis.

- Maman, j'arrive pas à l'oublier. Je suis désolé.
- Va faire de la boxe, sors avec tes copains, tu verras tout ira mieux.

Il ne l'a jamais oublié pourtant, Salim. Il se balade parfois dans sa tête, même dix ans plus tard. C'était la relation la plus sincère qu'il n'a jamais eue, la seule personne qu'il s'est autorisé à aimer. Sans détours, sans subterfuges, juste avec cette franchise inébranlable.
Maintenant Fahd se protège, s'est contenté d'arrêter d'aimer et préfère, ou a pris l'habitude, de s'extasier avec la luxure. Il veut à tout prix éviter la douleur lancinante qui avait tailladé son âme au départ de Salim. Plutôt crever que la ressentir à nouveau. C'est ce qu'il se dit, en tout cas, mais c'est surtout pour chasser ce regret qui vient le hanter parfois.

(4)

- Il faudrait que tu te trouves une femme, Fahd. Avec qui tu pourras avoir des enfants, une vie magnifique et stable.

Ce n'était pas pour répondre aux normes sociales ou le caser auprès d'une demoiselle avec insistance. Elle voulait seulement, et surtout, qu'il se détache d'elle et qu'il ne finisse pas seul lui aussi. Fahd réussissait toujours à s'en sortir, en s'exclamant :

- A quoi bon ? J'ai déjà trouvé la femme de ma vie !

C'était sa mère et personne d'autre. Il avait bien trop de misère à s'ouvrir, à offrir sa confiance, parce que cette peur qu'on le délaisse un jour revenait toujours à un moment ou à un autre. Alors il se reposait sur sa génitrice, parce que c'était plus simple, plus rassurant, puisqu'elle ne l'abandonnerait jamais, elle. Dès qu'il s'attache, il devient possessif, nerveux, alors il s'efforce d'être indifférent aux gens. Il les considère plus comme des divertissements, des objets de désirs ou des moyens d'atteindre l'extase. Il ne cherche pas l'amour car il n'en a pas besoin pour exister. Il tient à sa liberté et ne veut pas la perdre, encore moins au profit d'une relation bancale qui pourrait être éphémère et provisoire.

Cette réalité angoissait sa mère, mais quand Fahd lui a annoncé qu'il voulait devenir juge pour enfants, elle a paru réconfortée à cette idée. Elle perçoit la ténacité et l'engouement qu'il développe à travers son métier et elle réussit à s'apaiser. Fahd tient à ce qu'ils soient protégés, qu'ils ne manquent de rien et ne subissent pas le sentiment de délaissement. Il est touché par les enfants en difficulté, par le sort qui leur est réservé et l'avenir qu'il peut leur accorder. Même s'il n'a pas envie de construire une histoire sérieuse avec quelqu'un, il prend le modèle de la famille formée par sa mère, pour avoir envie d'adopter, seul, un jour. Il n'a besoin de personne pour réaliser son envie de paternité. En attendant de s'en sentir plus apte, il parraine un bolivien de 7 ans grâce à l'organisation Vision du Monde. Il transmet cet argent nécessaire pour lui assurer la protection, l'accès à l'eau potable, à une alimentation équilibrée et à l'éducation notamment. Ils échangent parfois et il a l'intention de le rencontrer un jour. Les enfants, ces petits êtres qu'on prive parfois de bonheur, ce sont les seuls qui parviennent vraiment à déclencher cette petite flamme d'affection. Il s'y attache, même si parfois il ne devrait pas car certains espoirs se font engloutir par le poids de la brutalité, de l'injustice. Il les a dans la peau, ces gosses.

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S'il paraît insensible, il ne l'est donc pas véritablement, tout comme il n'est pas foncièrement méchant. C'est seulement une carapace qu'il s'est formée, parce qu'il sait que la tendresse n'a pas sa place et que pour avancer, il faut se protéger. Il n'y a qu'avec sa mère et les enfants qu'il est généreux, aussi doux qu'il est capable de l'être.

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En ce qui concerne ses passe-temps, il se promène partout pour qu'on lui foute la paix et apprécie la nature lorsqu'il marche là où ses pas le dirigent. Il lit beaucoup, regarde des classiques ou des séries stimulantes, pratique de la poterie et des peintures qu'il vend en anonyme dans la galerie de sa mère. Il entretient son corps par plusieurs heures de différents sports : footing tous les matins, de la boxe, natation et musculation. Il sort souvent avec sa bande de potes, quand il n'est pas trop occupé à entreprendre sa vie active d'adulte accompli. Il drague, baise, mais ne s'attarde jamais sur ses conquêtes. Il les enchaîne par pur plaisir, sans prise de tête. Il court le matin à certains endroits dans le bois ou le parc, dans ces lieux où il est sûr de croiser des amants habituels. Il aime aussi se battre, activer la colère des gens par des provocations, qui lui valent quelques altercations violentes quand il est bourré. Ses anciennes bagarres ont marqué sa chair de plusieurs cicatrices, faute de couteaux ajoutés qui l'ont lacérée. Il traîne régulièrement quelques ecchymoses sur son corps, il est rarement tout à fait intact.