(léo) standing still even if the floor cracks

Il camoufle la cogitation intense et la contemplation derrière ses airs revêches. Tout son corps hurle de ne pas l’approcher, le visage déformé par les rides de l’agacement. Aujourd’hui, il ne faut pas essayer de parler à Basile. C’est peine perdue, il ne vous écoutera pas. Il est dans une sorte d’état second, où ce qui prime, c’est son avenir. Il consacre chaque seconde, chaque pensée, chaque embryon de réflexion à ce qu’il doit faire l’année prochaine. Déstabilisé par les contradictions qui semblent gérer son existence présentement, maudissant la situation boueuse dont il n’arrivait pas à se dépêtrer. Ses moyens financiers sont l’argument qui est le plus en sa défaveur, puisqu’ils l’empêchent de voir les choses sous l’angle exclusif du désir. S’il était sûr de pouvoir tout simplement choisir ce qu’il voulait, il n’aurait pas du tout autant de mal, au contraire. La chimie n’est plus du tout le domaine de ses rêves, elle ne l’excite pas, elle l’ennuie. Les facilités qu’il peut éventuellement avoir de par son amour par la matière se sont dissipées lorsqu’il avait réalisé qu’il ne voyait pas de futur là-dedans. Mais surtout, la chimie seule ne pouvait pas être la clé de la porte qui le sortirait de la misère où il a été flanqué, par le jeu cruel du hasard et de ce qu’on appelle communément le destin. Il devient impératif d’explorer de nouveaux horizons plus propices à l’évolution dans ce monde dont le carburant essentiel demeure l’argent. Il en ressent l’impact tous les jours, en voyant toutes les choses qu’il ne peut pas s’offrir. Il n’a qu’à parcourir la rue, pour voir les voitures qu’il y a, les boutiques qui suggèrent tellement de possibilités mais qui lui restent pourtant inaccessibles. Basile n’est pas forcément l’être le plus superficiel de la planète. Mais ce qui va le perdre, c’est son goût pour les choses luxueuses qu’il ne peut pas du tout se permettre. Que ce soit du vin hors de prix ou des vêtements qui coûtent un SMIC, il est obnubilé par le fait de gagner assez pour pouvoir tout se permettre. Cette ère capitaliste a trouvé son pigeon exemplaire, en la personne de cet adulte qui vient de quitter l’adolescence et qui a des rêves qui s’effritent de jour en jour alors qu’il se demande comment il pourra les réaliser.

Basile, quand il réfléchit trop, quand il sature, il aime bien se vider la tête quand même. Alors après la phase « mauvaise humeur, m’approche pas ou je te défonce », il fallait bien autre chose pour contrebalancer cette partie de lui qu’il n’apprécie pas énormément. D’habitude, il aime sortir avec ses potes boire un verre, qu’il se fait payer bien entendu. Mais dernièrement, ça commence à devenir trop répétitif à son goût, à part de rares privilégiés. Et puis, en ce moment-même, il veut s’isoler, profiter de sa journée en tant qu’être solitaire et se laisser emporter par le flot de possibilités. En passant par ces avenues familières, il tombe finalement sur l’eldorado de distraction qui pourra adoucir ses pensées. Ce magasin de jeux vidéo qu’il passe voir régulièrement, à fantasmer sur des goodies qu’il ne peut encore une fois pas s’offrir. À rêver d’une meilleure existence où il pourrait éventuellement s’offrir tout ce que contient la boutique. La fille habituelle s’y trouve, il l’a remarquée à plusieurs reprises. Elle est jolie, même plus que ça. Elle est vraiment belle, en fait, mais il ne lui a jamais adressé la parole. Il n’est pas du genre à vouloir draguer n’importe où, son terrain de chasse de prédilection étant les soirées. Il lui arrive donc de la mater vite fait, mais sans plus. Puis les trois quarts des clients doivent faire de même de toute façon, il ne peut pas s’empêcher de remarquer qu’un mec, accompagné de sa copine, fait de même et ça le fait ricaner doucement. C’est pour cela qu’il veut rester libre. À cet âge, ça ne l’intéresse pas de s’attacher, de se limiter, de s’empêtrer dans une relation qui ne susciterait que des problèmes et des contraintes. Ce gars-là est l’exemple typique de l’imbécile qui sort avec quelqu’un, tout en ayant des pensées lubriques pour d’autres, frustré par sa propre vie sexuelle devenue monotone alors que son taux de testostérone est à son stade le plus élevé. Lâchant un grand soupir qu’il ne garde pas pour lui-même et qu’il partage avec l’ensemble des présents qui le toise curieusement, il se concentre sur la figurine de Thanos plutôt réussie et qu’il se serait volontiers procuré si seulement il avait des sous. Il en est arrivé au stade où ça commence à l’énerver plutôt que de le calmer, alors il décide de se barrer et de laisser ça derrière lui. Ou du moins c’était le plan, avant que ça ne se mette à sonner l’alarme alors qu’il a un pied dehors et l’autre encore à l’intérieur.