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› je suis née dans une famille de paumés sociaux, incapables de s'occuper de mômes. négligents, je n'ai pas eu une enfance comblée de cadeau. ou si, un seul. ma soeur. qui a été enlevé à la famille trop vite, comme si la vie voulait me dire "le bonheur n'est qu'éphémère". parfois, je me demande quelle aurait été ma vie si j'avais été enlevé de ma famille moi aussi. › quand j'étais petite, je voulais être maitresse. c'était un rêve, de gosse, comme beaucoup finalement. à la différence près que moi, ça s'est vraiment réalisé. je suis professeur depuis mes vingt-cinq ans, suite à deux ans de retard dans mes études. j'ai pu choisir ma filière, la sociologie. j'ai enseigné en lycée en filière ES à Strasbourg pendant plusieurs années avant de demander ma mutation à Bordeaux il y a quelques mois, à la rentrée 2018. J'ai été accepté, à l'université et me voilà. › à l'adolescence, ça a été un peu le bordel dans ma tête. j'en avais marre de cette vie, marre de ces reproches que mes professeurs osaient me faire "eva, tu dois faire signer ce mot d'autorisation par tes parents" alors qu'en fait, ils étaient juste en train de baiser devant mes yeux. on vous a déjà parlé du désir mimétique ? ouais, c'est pas fameux. j'ai voulu imiter mes parents, et j'ai couché. avec un mec de quatorze ans, j'en avais quatorze. je me suis pas protégée, et paf, deux traits sur un test de grossesse. tombée enceinte à sa première fois, c'est plutôt rare, mais je ne fais pas les choses à moitié. ma fille est née le jour de mes quinze ans. Isis. voilà son prénom. › son père n'a pas vraiment assumé, en même temps il était jeune le pauvre. je sais même pas si il a mis ses parents au courant. ma mère ne s'est pas rendue compte de mon ventre rond avant que je lui dise "hey maman je me suis pissée dessus ou quoi" et puis merde, j'ai pondu et elle a compris. qu'elle avait été une mère pourrie. j'ai été placé dans un foyer pour jeune mère, et je l'ai jamais revu. › la naissance d'Isis a été difficile, les premières années aussi. j'ai arrêté le lycée pour faire le cned, j'ai perdu deux ans de ma vie à m'occuper de ma fille (enfin non, gagné), et j'ai eu mon bac pour mes vingt ans. j'ai commencé des études de sociologie, je voulais comprendre les gens, le monde, la société. j'ai été diplômé peu après mes vingt-cinq ans, capes du premier coup. c'est pas évident de faire des études quand on a un enfant, mais j'ai réussi et j'en suis fière. › maëve. j'y pensais pas vraiment quand j'étais petite, mais quand ma fille est née, j'ai compris que je ne pouvais pas laisser cette soeur encore éloignée de moi plus longtemps. les années ont passées, ma fille grandissait, je faisais ma vie et je n'ai pas eu le temps. ou j'avais la trouille. et un soir, ma fille m'a dit "maman, j'aimerai bien rencontrer ta soeur.", et j'ai compris que moi aussi. j'ai mis un an à me décider, et me voilà muté à Bordeaux. Nouvelle ville, nouvelle vie. › ma fille a dix-neuf ans, et autant vous dire que je viens de prendre un coup de vieux. c'est mon bébé et je n'arrive pas à comprendre comment elle a pu grandir aussi vite. l'année prochaine, elle aura vingt ans et ça va me foutre un coup au moral. c'est pas possible. elle est tellement merveilleuse. je suis fière de ce qu'elle est devenue. › le père de ma fille, je l'ai retrouvé en arrivant sur Bordeaux. je m'y attendais pas trop, et je n'arrive toujours pas à y croire. ma fille n'est pas au courant, et elle pourrait pourtant. son père, il a une femme, je ne sais pas vraiment si il est marié ou simplement fiancé, on en parle pas vraiment. la seule chose que je sais, c'est que mon coeur bat quand je croise son regard. il me rappelle ma jeunesse, mes démons aussi, mais c'est grâce à lui qu'Isis est là aujourd'hui. › je suis dans une situation délicate depuis la rentrée à Bordeaux. une nouvelle prof, ça attire souvent les regards des nouveaux étudiants, les mecs commencent à rigoler entre eux, et les filles critiquent sur sa manière de s'habiller ou j'en sais rien. je suis une professeur proche de mes élèves, parfois un peu trop. jusqu'à être invitée à une soirée étudiante. une soirée où une élève a posé ses lèvres sur les miennes. je l'aime bien Mia, là n'est pas le soucis. mais elle a 22 ans. et le voilà, elle pourrait être une amie de ma fille.