dark times (alan)

le ciel qui commence à dégouliner d’un ocre profond, et les astres qui scintillent, faiblards, dans l’épais manteau de la nuit qui se dépose sur bordeaux. c’est progressivement les ombres qui se découpent le long des bâtiments et sur l’anthracite des trottoirs. elle observe le spectacle d’un oeil éteint à travers le carreau de sa fenêtre un peu trop crade, laissant la pulpe de son doigt retracer les clignotements d’un lampadaire épuisé. y’a comme un vide qui résonne douloureusement dans son esprit, comme un ennui amer qui lui étreint le coeur. sami, c’est l’enfant de la nuit au teint blafard, et elle aime marteler les rues endormies du frottement de ses semelles. remplir la ville soupirante de la symphonie de son errance nocturne.
mais au beau milieu de la désolation qui commence à fleurir dans ses entrailles, y’a ce visage qui s’dessine dans les méandres de son esprit. celui du compagnon de ses infortunes, un souffle quand les poumons se consument. alan, l’inespéré dans ses heures creuses. léger sourire qui chatouille la commissure des lèvres, elle attrape son sac à la volée, balancé négligemment au dessus de son épaule, juste avant de claquer bruyamment la porte derrière elle. claquement qui déjà lui dépose sur le bout de la langue une satisfaction jouissive.
et c’est quand l’air frais de la ville s’infiltre doucement entre ses lèvres et vient lui chatouiller les poumons que l’sourire devient luisant sous le clair-obscur. le bruit si plaisant de ses pas qui vient réveiller les souvenirs bien trop nombreux, et qui automatiquement prennent la direction où elle sait qu’elle le trouvera, perché sur sa planche et les mèches virevoltant au rythme de ses ondulations. comme elle, qui s’égare dans la ville et laisse son imagination s’égarer dans les nébuleuses du ciel, c’est son exutoire à lui.
et quand finalement elle arrive jusqu’au skate park, il est évidemment là, comme à chaque fois qu’elle ressent le besoin de sa présence, ou simplement que l’envie de l’embêter est trop forte. parce que c’est principalement ça entre eux, des joutes verbales acérées, qui cachent la vraie affection qu’elle lui porte.
alan !
mais il a l’air bien trop plongé dans le crissement de ses roues contre les rampes pour remarquer sa présence, bien trop noyé par le flottement qui doit lui enserrer l’estomac. ses yeux s’déposent sur un caillou qui traîne au sol, et sans même réfléchir elle s’en empare et d’un tir parfait vient le heurter dans le dos, attendant qu’il se retourne pour découvrir la source du projectile.  

c’est peut-être les instants comme ceux-ci qu’elle aime le plus, sami. seule avec alan avec pour seule compagnie les astres accrochés dans le ciel, emmurés par le silence apaisant de la nuit déjà bien entamée. c’est ces souvenirs exacerbants de simplicité qui réchauffent le plus le coeur quand il s’assèche un peu trop, que les pensées deviennent trop amères et que l’on s’y perd trop aisément. là, et avec lui, elle ne pense plus. y’a plus que l’aisance de leurs échanges, et les langues qui se délient toutes seules sans aucune autre interférence.
c’est trop simple, et alors qu’elle l’observe tout juste, elle s’y accroche avec vigueur. cherchant à imprimer toutes ces sensations qui inondent son organisme, tous les trésauts de leurs voix, toute la gamme de couleur qui se défile autour d’eux. ces beaux noirs, d’anthracite, de jais, d’encre, d’ébène. comme un tableau où même les halos chétifs des lampadaires éparpillés dans les rues aux alentours deviennent déconcertant de beauté.
ici, même les choses les plus banales deviennent oeuvre d’art. comme le ronronnement de ses roues contre le métal grinçant, qui devient une symphonie à ses oreilles. comme les contours de son visage dévorés par le mélange subtile de la lumière rasante et des ombres qui se creusent sous ses pommettes et ses yeux. elle qui d’habitude est si insensible aux détails, c’est l’obscurité qui lui offre un second souffle, bien plus sensitive. rayonnante de vie.
et quand enfin elle parvient à interpeller son attention, et qu’il se rapproche d’elle, elle sent ses lèvres s’étirer légèrement, traîtres de l’euphorie qui la submerge. bouche qui se déforme en un sourire encore plus prononcé lorsque les lèvres d’alan se descellent en une remarque typique de leurs conversations. entre eux, c’est que l’ironie sardonique, les faux reproches masqués sous une couche grossière de plaisanterie. un jeu qui s’est presque automatiquement instauré, en même temps que leur complicité qui s’est tissé au fil des heures gâchées ensembles.
feignant l’offense, sourcils sensiblement arqués, elle parvient trop misérablement à gomer l’amusement de son faciès. elle est d’humeur joueuse, sami. et elle a probablement trouvé la victime parfaite pour satisfaire ses envies. s’approchant pour réduire la poignée de centimètres entre eux, son visage s’approchant un peu trop du sien. juste un peu en dessous du sien à cause des centimètres de différence.
t’es pas bien plus grand que moi. et c’est un autre jeu qu’elle instaure là, celui d’une séduction éhontée à peine cachée. parce qu’elle voit que ça le déstabilise, qu’il perd légèrement de sa contenance quand elle s’approche juste un peu trop ou que ses mots sont tournés juste comme il faut pour qu’ils prennent un tout autre sens.
tu préfères peut-être que j’me mette à genoux? et c’est presque trop simple, à force. à son tour de laisser ses dents jouer avec sa lèvre inférieure, gardant le regard coincé dans le sien, imperturbable. elle savait que l’idée de venir le retrouver serait bien plus divertissante que celle de rester confinée entre les murs de sa chambre.

Spoiler:

alan, c’est le feu auquel elle aimerait se brûler. et elle l’effleure du bout des doigts, avec un amusement qu’elle ne parvient que trop mal à masquer. elle cherche, gratte, tente de déchiffrer ce qui se passe réellement dans son esprit à lui. cherche à savoir si il brûle autant qu’elle, et que la proximité qu’elle instaure entre eux est aussi délicieusement toxique pour lui que pour elle. c’est un jeu qu’elle a elle-même instauré, sans réellement réaliser à quel point il serait divertissant. et elle veut le voir perdre doucement ses défenses, succomber enfin et lui offrir la satisfaction sublime de la réussite.
elle sait plus réellement si c’est son souffle contre ses lèvres qui lui intoxique l’esprit, ou bien si c’est la perspective de l’avoir fait flancher. parce qu’elle sait que lui, il s’est fixé des barrières avec elle, les même qu’elle tente de briser un peu plus à chaque fois qu’ils se retrouvent l’un et l’autre. probablement qu’il ne veut pas détruire ni dénaturer cette relation si précieuse qui s’est tissée entre eux, simplement pour une poignée de secondes à s’embraser l’âme à deux. mais c’est plus fort qu’elle, avide de compétition et encore plus de réussite.
quand ses lèvres se déposent contre son front, ses lèvres s’étirent dévoilant ses dents blanches dessous, souriant sincèrement au geste un peu trop tendre auquel elle n’est toujours pas habituée. mais quand il se détache aussi de cette proximité qui s’est glissée entre eux, elle ne peut s’empêcher de sentir la satisfaction se diffuser dans son esprit. parce qu’elle sait qu’elle l’a rendu mal à l’aise. et ça n’a pas de prix.
t’as besoin de compenser pour quelque chose d’autre avec ta taille? rictus amusé accompagné d’un regard qui vient se déposer juste un instant entre ses jambes pour appuyer sa phrase. pourtant le sourire s’efface presque immédiatement quand il vient lui pincer la taille. et automatiquement ils se renfoncent confortablement dans cette dynamique de taquineries qui fonctionne si bien entre eux. presque aussi amusant que les sous-entendus éhontés et les regards un peu trop insistants de sa part. pour appuyer sa phrase, elle vient le heurter légèrement entre les côtés avec son coude. encore une fois, cherchant à attiser la flamme et espérant qu’il y riposte à son tour.
arrête de me traiter comme une gamine. qu’elle lâche avec un air faussement vexé tandis que sa main vient ébouriffer ses cheveux, qu’elle vient presque immédiatement chasser de sa chevelure d’une tappe contre sa main.
 et vu que tu m'aimes bien, tu voudrais pas me payer un verre par hasard? et c’est aussi simple que ça, en quelques mots, regards, y’a absolument plus aucune trace de morosité qui lui inonde l’esprit. y’a plus qu’alan, et ses yeux qui brillent légèrement sous la clarté lunaire, et elle aimerait que le temps s’arrête juste à cet instant précis, et qu’ils restent tous les deux au milieu du clair-obscur pour toujours.

c’est les secondes qui semblent mourir sous cette voie lactée mirobolante, effacées par la myriade d’astres scintillant faiblement. y’a comme quelque chose mystique dans cette ambiance nocturne, dans la lueur spectrale qui enveloppe les corps et qui épouse les coeurs. elle s’y sent bien mieux que sous le halo jaunâtre et brûlant du soleil, quand les rues sont engoncées de personnes toutes plus pressées les unes que les autres, et où le temps semble filer à une allure foudroyante. c’est étrange aussi, à quel point dans le silence bourdonnant, tout lui semble bien plus vrai. bien plus réel et tangible. les âmes sans aucun rempart pour les étouffer. les coeurs qui parlent d’eux-même dans les silences. et ces regards qui offrent les mots qui ne veulent pas s’échapper.
c’est dans ce genre d’heures creuses où l’on entend plus que le souffle apaisé de la ville qu’elle gravite toujours vers lui, l’autre noctambule avec qui elle aime tant ne rien faire. laisser les langues se délier toutes seules, les sourires remuer les lèvres, perdus quelque part en l’asphalte brûlant et la voûte céleste. pourtant y’a quelque chose de différent chez lui. ce léger détail au creux de ses yeux, cette soudaine retenue qui embourbe ses doigts quand ils se rapprochent de son corps. c’est subtil, peut-être même une illusion, mais c’est juste assez pour réveiller sa curiosité. elle ne soulève pourtant rien, pas encore.
heureusement, t’as que trois ans de plus, pas de quoi me prendre de haut. c’est une taquinerie innocente qu’il lui a lancée, et qui suffit à chaque fois pour les replonger dans cette même routine réconfortante. celle des mots railleurs, des sourires moqueurs mais qui débordent de cette affection un peu mystique qui s’est tissée entre eux. de cette manière étrange même, alors qu’ils partageaient la même douleur, et que finalement ils avaient décidé que de la porter à deux serait bien plus plaisant. c’était né de rien, d’une situation un peu similaire et d’un creux qui coincé dans leur poitrine. il arrivait réussi à le combler, aussi simplement qu’en restant à ses côtés.
t’es chiant à toujours avoir faim. soupir faussement excédé qui transperce l’air, alors que sa main vient trouver la sienne pour l’entraîner à sa suite. d’abord on boit, ensuite on mange. j’veux pas que tu m’arnaques. y’a cette envie de fouler les rues sans réellement savoir où ses pas les mèneront qui lui parcourt les veines, alors sans même attendre une quelconque approbation de sa part, elle continue à marcher. et presque comme un cadeau, la devanture illuminée et dégoulinante de vie d’un bar qui se dessine au bout de la rue.